Albert Memmi (Tunis, 1920-Paris, 2020)
Il aurait eu cent ans en décembre. Albert Memmi, romancier, essayiste, né dans une famille pauvre judéo-arabophone de Tunis, est décédé le 22 mai à Paris.
La carrière d’Albert Memmi est représentative de cette identité multiple qui le caractérisait et qui a été au cœur de son œuvre. Sa naissance à la lisière de la Hara de Tunis, dans une famille modeste, n’augurait pas d’un destin d’intellectuel, d’universitaire et de romancier. D’autres ont dit la réussite de cet élève du Lycée Carnot de Tunis qui gravira les échelons de l’université et qui deviendra un des penseurs de la modernité, traitant particulièrement des thèmes liés à la colonisation, à la décolonisation et au racisme.
Albert Memmi est celui qui nous a permis de mieux comprendre le fait juif, en introduisant la distinction, désormais classique et toujours opérante, entre la judaïcité qui est l’ensemble de la population juive, le judaïsme, c’est-à-dire les préceptes religieux et la pensée juive, et la judéité en tant que lien plus ou moins distant à une identité juive.
Toutefois, Albert Memmi n’a pas écrit que sur des sujets juifs, et son intérêt pour le traitement de la question du racisme est omniprésent dans son œuvre, tout comme son essai d’explication du fait colonial à travers la figure du colonisé et du décolonisé.
Albert Memmi entretenait une relation particulière à l’Alliance israélite universelle, dont il avait fréquenté l’école primaire à Tunis. Il a souvent exprimé sa reconnaissance pour cette instruction reçue dès son jeune âge, qui lui a donné les armes nécessaires à son évolution intellectuelle et à son adaptation aux mondes qu’il a traversés, comme Juif, Français, Tunisien ou Arabe.
On retrouvera ou peut-être découvrira avec plaisir de nombreux textes d’Albert Memmi dans la bibliothèque numérique de l’Alliance
Interrogé sur le particularisme juif, en particulier sur la notion de littérature juive, il disait, avec le ton provocateur qui le caractérisait souvent : De temps à autre naît même une grande œuvre juive (Les Nouveaux cahiers n°2, mai juillet 1965).
Son existence l’aura mené, selon l’expression de Guy Dugas, Du malheur d’être juif au bonheur sépharade (titre de Guy Dugas, Ed du Nadir, 2001). D’ailleurs, n’a-t-il pas signé, dans le journal Le Monde, une série de chroniques intitulées « Bonheurs » ?