Une héroïne malgré elle ou un modèle d’héroïsme assumé ?
Esther : Une héroïne malgré elle ou un modèle d’héroïsme assumé ?
La Méguilat Esther nous plonge dans une histoire fascinante où une jeune femme, apparemment sans ambition politique ou spirituelle, devient l’instrument du salut de son peuple.
Mais Esther est-elle vraiment une héroïne « malgré elle » ou incarne-t-elle, au fil du récit, une forme d’héroïsme conscient et assumé ?
Esther face à l’adversité : entre contrainte et responsabilité
À première vue, Esther ne semble pas chercher la grandeur. Orpheline, elle est élevée par son oncle Mordehaï et se retrouve emportée, sans l’avoir voulu, dans le processus de sélection des jeunes filles destinées au roi Assuérus. Contrairement à des figures bibliques comme Moshé ou Déborah, qui embrassent rapidement leur mission, Esther subit les événements.
Cependant, cette passivité apparente dissimule un potentiel. À plusieurs reprises, elle manifeste une intelligence stratégique et une capacité d’adaptation :
Elle suit les conseils de Mordehaï et de Hégay (le gardien des femmes) pour se préparer à rencontrer le roi (Esther 2:15).
Elle cache son identité juive jusqu’au moment décisif.
Elle évolue d’un rôle de reine silencieuse à celui d’une médiatrice active et perspicace.
La transformation d’Esther : d’une héroïne hésitante à une figure de leadership
Le moment clé de cette transformation est le dialogue entre Esther et Mordehaï (Esther 4). Lorsqu’elle exprime sa peur d’approcher le roi sans invitation, Mordehaï lui adresse une mise en garde qui la pousse à reconsidérer son rôle :
« Qui sait si ce n’est pas pour un moment comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté ? » (Esther 4:14)
Cette phrase marque un tournant. Esther comprend que son statut n’est pas une simple circonstance fortuite mais une opportunité de jouer un rôle déterminant dans l’histoire de son peuple.
Dès lors :
Elle prend l’initiative d’organiser un jeûne collectif.
Elle élabore une stratégie pour approcher le roi et dénoncer Haman.
Elle agit avec une sagesse remarquable, en retardant sa requête par deux banquets, afin de maximiser son impact sur Assuérus.
Ainsi, Esther n’est plus une héroïne « malgré elle » : elle assume pleinement son destin.
Un héroïsme du quotidien : quelle leçon pour nous ?
L’histoire d’Esther nous rappelle que l’héroïsme n’est pas nécessairement une vocation innée. Il peut émerger des circonstances, des défis et des décisions que nous prenons face à l’adversité.
Elle nous enseigne plusieurs leçons essentielles :
1. L’héroïsme n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à agir malgré elle
Esther n’est pas une figure invincible ; elle doute, craint pour sa vie, hésite. Pourtant, elle choisit d’agir.
2. Le courage est souvent un processus
Loin d’être une héroïne déterminée dès le départ, elle évolue progressivement vers un leadership assumé. Cela nous montre que nous pouvons tous grandir à travers les défis.
3. Chaque individu a une responsabilité dans l’histoire collective
Mordehaï rappelle à Esther qu’elle n’est pas indispensable au salut d’Israël (« Car si tu te tais en ce moment, le secours et la délivrance viendront d’autre part pour les Juifs… » – Esther 4:14).
Cela signifie que le destin collectif ne repose pas uniquement sur nous, mais que nous avons une part à jouer.
Une question pour nous aujourd’hui : et nous ?
Nous ne sommes peut-être pas confrontés à des choix aussi extrêmes qu’Esther, mais son parcours résonne avec nos vies :
Oser défendre ses valeurs face à une pression sociale ou professionnelle.
Prendre des décisions difficiles, même si elles nous effraient.
Avoir confiance en notre rôle, même lorsque nous doutons de notre capacité à faire une différence.
Alors, à l’approche de Pourim, demandons-nous :
Quelles opportunités avons-nous de dépasser nos propres limites ?
Sommes-nous prêts, à notre échelle, à être des héros et héroïnes de notre propre histoire ?
Emmanuel CASSAR
Directeur des études juives de l'AIU